Les Arts Décoratifs, Paris

Ce texte a été écrit par Ulrike Haussen, iconographe en charge du partenariat avec les Arts Décoratifs, Paris.

Oui, je confesse, je suis muséophile. Je me rends au musée comme d’autres vont à la messe, j’écoute les yeux grands ouverts, je ne veux rien manquer, je me projette, je rêvasse. Faisant partie de la communauté silencieuse des visiteurs, je stationne devant des vitrines comme des pèlerins peuvent se recueillir devant une image pieuse dans une chapelle. Qui a dit que les musées étaient des cathédrales modernes?

Lorsque je me suis vue confier la mission d’orchestrer l’intégration des fonds photographiques des Arts Décoratifs dans notre base de données, je jubilais d’avance. J’ai dû m’accrocher pourtant pendant un long moment, où il était question de noms de fichiers, de longueurs de champs, de mots-clés.

Mais à chaque fois que j’allais aux Arts Décoratifs, me promener dans les collections permanentes ou découvrir des expositions temporaires, je fus à nouveau saisie de cette exaltation spontanée, de me trouver dans un endroit d’exception, tel qu’il peut seulement en exister dans les grandes métropoles.

Que sont Les Arts Décoratifs, Paris, au juste ?

Les Art Décoratifs sont localisés dans l’aile de Rohan et de Marsan de ce mastodonte qu’est le Palais du Louvre, celle qui longe la rue de Rivoli et qui prend fin dans le Pavillon Marsan du côté des Tuileries. C’est la partie du Louvre que Napoléon III fit construire à partir de 1852 et qui bien plus tard, a servi de siège au ministère des Finances, avant de devenir à partir de 1905 l’emplacement de l’UCAD, l’Union centrale des arts décoratifs, l’organisme précurseur des actuels Arts Décoratifs.

Quant au musée Nissim de Camondo, qui fait partie des Arts Décoratifs, il se situe dans l’hôtel particulier des Camondo, en bordure du Parc Monceau.

L’institution n’est pas un musée national, mais un organisme privé (association loi 1901 reconnue d’utilité publique), issu de la volonté de collectionneurs de créer un espace consacré à la conservation, de la promotion et de la diffusion des arts décoratifs, à la suite des Expositions universelles de la seconde moitié du 19e siècle.

L’année 2006 marqua la réouverture du musée des Arts décoratifs, après plusieurs années de réorganisation structurelle et spatiale. A présent, les collections des arts décoratifs, de la mode, du textile et de la publicité sont déployées sur plus de 900 m2 et réparties dans des galeries permanentes et des espaces d’expositions temporaires.

Autour de la grande Nef, vaste espace central dédié aux grandes expositions temporaires, sont organisés les parcours chronologiques et thématiques. Grâce à cet agencement, on a un aperçu des autres parties du musée depuis plusieurs points de vue, à hauteurs différentes.

La galerie d’études sur deux étages est consacrée à des expositions de longue durée, mêlant des objets variés de toutes les époques et illustrant chacun à sa manière une thématique posée. La galerie des jouets surprend toujours par une scénographie ludique et colorée.

Le Pavillon Marsan est occupé jusqu’aux combles, la vue en plongée depuis la dernière mezzanine au 9ème étage sur la pyramide des fauteuils en contre-bas vaut le détour !

La galerie des bijoux est répartie sur deux cabinets, véritables écrins plongés dans le noir où brillent mille parures en or, argent et pierres précieuses. Elle est une charnière avec l’aile de Rohan, où sont exposés les deux autres grands domaines des Arts Décoratifs, par le biais d’expositions temporaires (2 à 3 par an) :

La mode est présentée sur deux niveaux, de grandes vitrines occupant des pans de murs entiers du sol au plafond donnent la séduisante impression de pouvoir passer entre les modèles des créateurs et créatrices les plus doués du monde.

L’espace réservé à la publicité, porte son propre caractère et invite à une évasion toute particulière, avec ses cabinets et ses cheminées hérités de l’ancien palais dont on a mis les murs à nu, en gardant un étroit couloir au milieu qui rappelle celui d’un paquebot, avec son revêtement métallique et ses hublots.

Qu’est-ce qui fait la particularité des Arts Décoratifs ?

 

Certainement, mise à part la diversité époustouflante de leurs collections, c’est leur muséographie composite, formée à la fois par des présentations temporaires, et par des galeries permanentes avec des vitrines étalant des séries d’objets et les « period rooms », ensembles d’objets restituant une pièce d’une époque précise.

Mais c’est surtout l’espace-temps que l’on parcourt dans un lieu relativement restreint qui est étonnant, avec les collections datant du Moyen Age (à partir du XIIe siècle) qui se trouvent seulement à une centaine de mètres de la galerie d’actualité à l’autre bout du bâtiment, où l’on peut voir des créations de 2011.

C’est dans cette time-machine que sont rassemblés des objets qui ont de toutes époques passées, présentes ou à venir eu une utilité dans le quotidien des hommes. Ils ont façonné, façonnent et façonneront la manière dont nous les humains nous asseyons, mangeons, travaillons, dormons, jouons, nous habillons… ; ils accompagnent nos activités les plus essentielles, ne serait-ce celle de décorer et de nous orner.

Nous sommes ici « là où le beau rejoint l’utile », c’est-à-dire là où sont conservés les exemplaires les plus aboutis, extravagants, charmants, insolites, avant-gardistes qui soient – préservés dans des vitrines et hors d’atteinte, mais cependant virtuellement accessibles aux usages quotidiens que l’on peut en faire.

Outre la conservation du patrimoine, la politique des Arts Décoratifs est caractérisée dès ses débuts par la volonté d’enseigner et de promouvoir la création contemporaine.

En supplément de nombreuses visites pédagogiques, une multitude de cours d’arts plastiques est proposée dans les « ateliers du Carrousel » et l’école Camondo, située boulevard Raspail, spécialisée en architecture d’intérieur et en design, a formé des designers de renommée, comme Philippe Starck et Jean-Michel Wilmotte.

La boutique du 107 Rivoli est définitivement the place to be, avec sa grande librairie spécialisée dans tous les domaines des arts décoratifs, ses éditions limitées d’objets de design, ses bijoux, accessoires de mode et arts de la table de créateurs contemporains. C’est donc non seulement un des rendez-vous le plus chic et fashion de la capitale, mais en même temps un vecteur de promotion pour la création actuelle.

Quand je ne craque pas à la boutique, mon jeu préféré aux Arts Décoratifs est de me demander : « Et si tu avais le droit d’emporter trois pièces à la maison, lesquelles prendrais-tu ? »

La chaise longue de Charlotte Perriand, datant de 1941 inspirée d’un séjour au Japon, occupe une place fixe dans ma liste, j’ai presque honte de dire que c’est le cas également pour ce manteau en cuir d’autruche de la maison Balmain de 1977. Lors de l’expo « L’Art de l’automobile », le Bugatti 57 SC Atlantic coupé de 1938 était mon troisième choix, last not least ! C’est par ailleurs en regardant par sa vitre latérale et apercevant le pare-brise séparé en deux fenêtres entourées d’un liseré de cuir que je me suis rendue compte, foudroyée, que la beauté peut rendre heureuse.

Après chaque visite aux Arts Décoratifs, je me pose la question : Où suis-je allée ? Et quand ? Il me semble avoir dormi dans un lit à dais du 15e siècle, m’être réveillée dans une navette spatiale propulsée dans des contrées futures, de m’être assise à table au 18e siècle, si cette tortue en plastique gonflable ne m’avait pas ramenée sur les plages de mon enfance. Mais où suis-je donc allée ? J’ai juste passé quelques heures aux Arts Décoratifs à Paris.

Ulrike Haussen
Inconographe, akg-images Paris